Colloque SHESL 2024

Colloque SHESL  2024

Ethnolinguistique – Anthropologie linguistique :
histoires et état des lieux

Paris (amphithéâtre Turing, Université Paris Cité)
31 janvier-2 février 2024

organisé par
Chloé Laplantine, Cécile Leguy et Valentina Vapnarsky

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information :shesl@shesl.org

Le colloque sera également accessible en ligne, merci de vous inscrire.

Argumentaire

L’anthropologie linguistique est l’un des quatre champs de recherche de l’anthropologie (avec l’archéologie, l’anthropologie physique et l’anthropologie socio-culturelle) dans la tradition nord-américaine. Il est couramment admis, même si l’histoire est en fait plus complexe (Hicks 2013), que cette organisation est le résultat du travail de fondation disciplinaire de Franz Boas. De ce fait, les études des anthropologues linguistes ont leur place, aux États-Unis, dans les congrès et revues généralistes en anthropologie, mais aussi dans des congrès[1] et des revues spécialisées : Anthropological Linguistics (fondée en 1959), Language in Society (1972), The Journal of Linguistic Anthropology (1990). En France, où la discipline s’est d’abord plutôt appelée « ethnolinguistique », les travaux tels que ceux de Geneviève Calame-Griaule ou de Bernard Pottier, les rapprochements opérés par Émile Benveniste, Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss entre la linguistique et l’anthropologie, l’influence des traditions américaine et britannique, ont construit une tradition spécifique et complexe de par les différentes approches qu’elle a ainsi croisées. Le champ de l’ethnolinguistique a connu une activité importante en France dans les années 1970-1980[2], il a été fondateur et fédérateur dans les recherches de laboratoires[3] et de revues[4]. Aujourd’hui, à Paris, se tiennent régulièrement au moins cinq séminaires d’ethnolinguistique ou anthropologie linguistique, ce qui est le signe d’une actualité de ce champ d’études.

Cet intérêt croissant ou renouvelé pour l’ethnolinguistique et l’anthropologie linguistique mérite qu’on s’y arrête. Par le passé, des états des lieux des recherches menées dans le domaine ont déjà été faits (e.g. Jourdan, & Lefebvre 1999). Des ouvrages de synthèse offrant des approches multiples (e.g. Hymes 1983 ; Duranti 1997 ; Foley 1997, Enfield et al. 2014) et des articles cherchant à la fois à définir le domaine et son histoire ont été écrits. Ces travaux sont devenus des références qui donnent aux acteurs des recherches menées dans ces domaines les moyens de réfléchir à leur propre démarche, et permettent un enseignement de la discipline non séparé de celui de son histoire. Néanmoins on peut constater des lacunes et des partis pris dans ces synthèses qui, bien souvent, se focalisent sur les publications anglophones (à l’exception notamment de Bornand et Leguy 2013). Si des travaux tels que ceux de Dell Hymes, Michael Silverstein, ou Alessandro Duranti, sont incontestablement fondateurs pour l’histoire et la définition de la discipline, ils ont néanmoins été écrits dans un contexte théorique, sociologique, politique nord-américain et ne rendent souvent pas compte d’une plus grande complexité des traditions théoriques et des terrains, ce qui a pour conséquence d’en entraîner l’oubli.

Étude du langage dans des contextes culturels et sociaux particuliers, le domaine de l’anthropologie linguistique semble immense tant de par ses objets que son approche fondamentalement interdisciplinaire, s’étendant souvent au-delà de ses deux disciplines princeps.

Le présent colloque cherchera à tenir ensemble les dimensions historique, réflexive et prospective de la recherche en anthropologie linguistique :

  • en retraçant les questionnements et les soubassements théoriques sur lesquels s’est construite l’histoire des différentes traditions de l’ethnolinguistique et de l’anthropologie linguistique au fil des 20e et 21e siècles, et ses éventuelles spécificités françaises.
  • en dressant un état des lieux de la variété des approches actuelles dans ce domaine, tant du point de vue de leurs objets, que de leurs questionnements, méthodes, appareils conceptuels et connivences interdisciplinaires.
  • en cherchant à ouvrir de nouvelles pistes de recherche.

Voici des questions que le colloque propose de discuter (cette liste n’étant pas exhaustive) :

  • qu’est-ce que faire de l’ethnolinguistique ou de l’anthropologie linguistique aujourd’hui ? ;
  • pourquoi cet attrait ou cette prise en compte de la dimension linguistique par les ethnologues, ou de la dimension ethnologique par les linguistes ? ;
  • les particularités nationales ou continentales, les écoles ;
  • l’organisation académique de la recherche :  les anthropologues linguistes travaillent le plus souvent dans des départements ou laboratoires d’anthropologie et non de linguistique, où l’on trouve plutôt des sociolinguistes. Comment s’est opérée cette organisation disciplinaire et quelles conséquences dans le mode d’approche des chercheurs ? ;
  • comment les ethnolinguistes ou anthropologues linguistes approchent-ils le langage ? Quelles notions utilisent-ils ? Quelles sont leurs connaissances et leurs références linguistiques ? Par exemple, la pragmatique, puis la linguistique cognitive, ont pu être des références majeures dans les travaux des ethnolinguistes ;
  • les formes d’appréhension propres à l’ethnolinguistique/l’anthropologie linguistique de concepts centraux tels que le « contexte », l’« interaction », partagés avec d’autres disciplines en sciences sociales ;
  • qu’est-ce que faire du terrain en ethnolinguistique et en anthropologie linguistique ? ;
  • les relations avec d’autres sous-champs ou courants disciplinaires : littérature orale, ethnosciences et éco-anthropologie, linguistique descriptive et typologie, sociolinguistique, pragmatique, ethnométhodologie, interactionnisme, cognition, psycholinguistique interculturelle, ethnomusicologie, ethnopoétique… ;
  • la tension entre les dénominations « ethnolinguistique » et « anthropologie linguistique » ;
  • la place du chercheur dans la société : par la prise en compte de l’activité du langage dans les situations sociales, l’anthropologie linguistique a été par le passé et reste le révélateur de situations de minorisation et un moyen d’action pour la préservation et la valorisation d’une diversité de l’expérience humaine ;
  • l’ethnolinguistique/l’anthropologie linguistique au-delà de l’humain : la communication avec et entre les non-humains, la communication homme-machine.

Bibliographie

Alvarez-Pereyre, Frank, dir. 1979. Ethnolinguistique : contributions théoriques et méthodologiques : actes de la Réunion internationale « Théorie en ethnolinguistique », Ivry, 29 mai-1er juin 1979.

Alvarez-Pereyre, Frank. 2003. L’exigence interdisciplinaire. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme.

Bonvini, Emilio. 1981. L’ethnolinguistique entre la pluridisciplinarité et l’unidisciplinarité. La Linguistique 17(1) : 131-141.

Bornand, Sandra & Cécile Leguy. 2013. Anthropologie des pratiques langagières. Paris : Armand Colin.

Calame-Griaule, Geneviève, dir. 1977. Langage et cultures africaines. Essais d’ethnolinguistique. Paris : François Maspero.

Calame-Griaule, Geneviève. 2009 [1965]. Ethnologie et langage. La parole chez les Dogon. Limoges : Lambert-Lucas.

Duranti, Alessandro. 1997. Linguistic Anthropology. Cambridge : Cambridge University Press.

Enfield, N. J., P. Kockelman et J. Sidnell. 2014. The Cambridge Handbook of Linguistic Anthropology, dir.  Cambridge : Cambridge University Press.

Foley, William A. 1997. Anthropological Linguistics: An Introduction. Oxford : Blackwell Publishers Inc.

Hanks, William F. 1996. Language and Communicative Practices. Oxford & Boulder: Westview Press. (Critical Essays in Anthropology).

Hicks, Dan. 2013. Four-Field Anthropology: Charter Myths and Time Warps from St. Louis to Oxford. Current Anthropology 54(6). 753-763.

Hymes, Dell. 1983. Essays in the History of Linguistic Anthropology. Amsterdam : Benjamins.

Jourdan, Christine & Claire Lefebvre. 1999. Présentation. L’ethnolinguistique aujourd’hui. État des lieux. Anthropologie et sociétés 23(3). 5–13.
https://doi.org/10.7202/015615a

Monod-Becquelin, Aurore & Valentina Vapnarsky. 2001. L’ethnolinguistique, la pragmatique et le champ cognitif. Ethnologie. Concepts et aires culturels, dir. par Martine Segalen. Paris : Armand Colin. 155-178.

Pottier, Bernard, dir. 1970. Langages 18. L’ethnolinguistique.

[1] Il existe une société savante dédiée à ce champ de recherche, la Society for Linguistic Anthropology.

[2] Voir notamment Alvarez-Pereyre 1979, 2003, Bonvini 1981, Calame-Griaule 1977 ; Pottier 1970.

[3] Le LACITO (Langues et Civilisations à Tradition Orale) fondé par Jacqueline M. C. Thomas (qui l’a dirigé jusqu’en 1991) en 1976 ; le CRO (Centre de recherche sur l’oralité́) fondé en 1980 sous la direction de Jacques Dournes, devenu Centre d’étude et de recherche sur les littératures et les oralités dans le monde (Inalco) ; le LLACAN (Langage, Langues et Cultures d’Afrique), créé en 1994 à la suite de l’ERA 246, équipe de recherche où était Geneviève Calame-Griaule. En 1972, Bernard Pottier fonde l’équipe de recherche du CNRS, Ethnolinguistique Améridienne (devenue ensuite CELIA, puis intégrée au SEDYL).

[4] Cahiers de littérature orale, fondés en 1976 par Geneviève Calame-Griaule ; Amerindia. Revue d’ethnolinguistique amérindienne, fondée la même année par Bernard Pottier ; la revue Langage et société, plus sociolinguistique, a aussi intégré à ses débuts et plus récemment des perspectives de l’ethnolinguistique et de l’anthropologie linguistique.

Société d'histoire et d'épistémologie des sciences du langage