Jacques Guilhaumou – Lire Humboldt en français. Le cheminement vers la langue dans le contexte de la culture politique française

Dossier d’HEL,  n°1
Wilhem Von Humboldt : éditer et lire Humboldt
Numéro dirigé par A. M. Chabrolle-Cerretini
©  SHESL 2002

Lire Humboldt en français.
Le cheminement vers la langue dans le contexte de la culture politique française

par Jacques Guilhaumou
CNRS / ENS Lettres et Sciences Humaines, Lyon

Au terme d’un trajet intellectuel, qui l’amène à débattre avec les philosophes français de son époque, en particulier Sieyès et les Idéologues, mais aussi à prendre en compte la dimension langagière de divers éléments de la culture française, certes dans une perspective comparative avec la culture allemande, Wilhelm von Humboldt en vient à considérer que le progrès du travail de l’esprit passe par l’élucidation de ses conditions linguistiques d’apparition et de mise en œuvre. Dans la mesure où nous disposons depuis peu de la traduction française des principaux écrits de sa période de maturation intellectuelle contemporaine de la Révolution française, il nous est possible de présenter, textes traduits à l’appui, les moments d’un tel parcours vers l’établissement d’un rapport intime entre la langue et la pensée.

Cependant nous n’ignorons pas les problèmes ardus posés par la traduction d’une pensée déjà pleine de l’énergie du langage, avant qu’elle ne se formule dans la conscience de la langue. Denis Thouard[1] a bien souligné les principaux enjeux de la traduction en français de l’activité philosophique de Humboldt, une activité qui prend forme dans l’écriture même. Comprendre Humboldt, c’est tenir compte de“ la poétique qui lui est propre ” selon l’expression d’Henri Meschonnic[2], c’est-à-dire suivre une pensée qui s’invente au fur et à mesure qu’elle prend forme dans la langue. Ici nous faisons donc confiance aux récents traducteurs d’Humboldt pour nous restituer le mouvement de sa pensée. Notre lecture de ces traductions se contente d’apprécier au mieux la contextualisation de la pensée d’Humboldt qu’elles permettent dans une perspective de comparaison entre la culture française et la culture allemande de la fin du 18ème siècle.

I – Sur la progression humaine.

Dans une étude récente sur l’archéologie de l’idée de progrès dans les temps modernes[3], nous avons montré qu’il ne faut pas conférer trop vite un statut unilatéral à l’idée de progrès, au risque de limiter sa portée au libéralisme positiviste. Il convient plutôt de s’interroger sur les aspérités de son histoire, donc de caractériser les figures qui contribuent à son avènement. Entre les deux points d’épinglage de ses positivités, l’avènement de l’individu sous la Renaissance et le triomphe de la perfectibilité au 19ème siècle, un temps spécifique et pluriel du progrès s’expérimente à l’horizon d’une humanité agissante et souffrante. Humboldt inscrit sa réflexion dans une telle perspective. Après son premier séjour en France, en 1789, il se confronte une première fois avec la Révolution française, en particulier dans ses Idées en vue d’un Essai pour déterminer les limites de l’Etat (1792)[4]. Il montre, dans ce texte, que le rôle de l’Etat est second par rapport à la formation d’une communauté d’hommes libres. Il met déjà l’accent sur l’individualité, issue de la force propre à chaque individu et à sa culture. Il se pose alors la question: qu’est-ce que l’homme ? Que peut-il devenir ? Entamant une réflexion anthropologique sur l’ensemble du 18ème siècle, il s’interroge sur le caractère de la progression humaine dans des textes inédits de son vivant, mais rédigés dans les années1796-1797, Le Dix-huitième siècle et le Plan d’une anthropologie comparée[5]. Dans Le Dix-huitième siècle, Humboldt reprend d’emblée les questions décisives de son siècle: Où en sommes-nous dans le progrès de l’humanité ? Qu’est-ce que l’humanité est devenue au terme d’une évolution historique riche en circonstances, surtout dans la période immédiatement contemporaine ? Quel est actuellement son caractère propre ? Deux concepts centraux, particulièrement significatifs de la progression humaine, s’affirment alors avec force dans cette approche à la fois historique et philosophique du siècle des Lumières, ceux d’individualité et de caractère. En quoi ces deux concepts rendent-ils compte du progrès constant de l’humanité ? Pourquoi “ le XVIIIème siècle occupe, dans toute l’histoire, la place la plus propice pour étudier le caractère qui est le sien ”?[6]. Que signifie donc l’exemplarité de ce siècle ? Humboldt part du fait que “ le progrès ininterrompu ” de l’humanité relève essentiellement de“ la force de notre volonté ” qui permet à chacun d’associer ses actions aux principes de la raison, tandis que les phénomènes naturels sont décrits à partir de lois nécessaires. Cependant ce n’est pas la seule expérience vécue – la part du hasard dans les événements et les destinées humaines étant considérables – qui permet de démontrer que l’humanité progresse d’un pas égal vers la perfection. Il convient surtout de décrire, historiquement et philosophiquement, le caractère propre de l’esprit en adéquation avec“ un projet de perfectionnement intéressant toute l’humanité ”[7]. L’expérience empirique prend une tournure abstraite dans la complémentarité de la matière et de la forme, d’une organisation mécanique spécifique et d’un caractère moral propre qui tend à “ mener les hommes à une perfection plus grande pour soi ”. A ce titre, le caractère propre de l’époque moderne a bien l’idéal de perfection humaine comme horizon, mais n’obéit à de règle a priori que celle issue de sa détermination interne, de sa légalité propre. En effet, un concept subsume toute caractérisation générique, l’individualité. Les formules, “ l’individualité est une force dont le caractère est l’actualisation ”, “ le caractère est le Je originaire, la personnalité donnée avec la vie ”[8] résument bien les liens d’identification et de différenciation entre les concepts d’individualité et de caractère. Ainsi “ le Je propre ”, en tant que “ le Je originel ” de la force créatrice de l’homme, est le principe même de l’individualité, c’est-à-dire quelqu’un d’indéfinissable et quelque chose d’inconnu dans son essence originelle. Donc le caractère d’une individualité n’est appréhendable qu’à travers ses effets, ses manières d’être, et non dans son immédiateté. C’est l’individualité en tant que manière d’être, son caractère en tant que mode anthropologique de présentation de l’humanité dans sa totalité, que l’observateur -philosophe peut appréhender dans l’être agissant pris dans le mouvement d’ensemble des forces individuelles et de leurs rapports. Il s’agit bien, nous le verrons avec le cas exemplaire de la France, de récuser toute recherche des causes et des conséquences d’un caractère national, au profit de ses propriétés immanentes et de leurs effets. Humboldt en conclut que la description de l’effort accompli par l’homme pour progresser passe nécessairement par la connaissance de sa personnalité dans la concrétisation d’un caractère qui attribue une réalité d’ensemble à un cours d’actions. Ainsi le progrès actuel de l’humanité n’est autre que “ le mouvement et le rapport des forces perçues en même temps et comme une totalité ”[9]. En résumé, abstraire le caractère de l’époque actuelle sur une base empirique, c’est en caractériser l’individualité du point de vue de l’idéal de la perfection humaine, la totalité, et dans la diversité de ses manifestations empiriques. “ Rien ne rayonne avec autant de vivacité que l’individualité humaine ”[10] précise Humboldt, dans le Plan d’une anthropologie comparée, confirmant ainsi que“ l’homme doit être tel ” que la matière qui l’entoure le permet, mais dans une forme propre, novatrice, son caractère. Dans ce mouvement propre d’une époque, ce qui compte avant tout, Humboldt y reviendra plus tardivement, c’est la capacité créatrice de l’homme d’élargir indéfiniment son champ d’action, et non la connaissance des ressorts et de la finalité du progrès. Vingt ans plus tard, en effet, dans La tâche de l’historien[11], Humboldt reprend la question nodale du progrès humain. Il reproche alors aux “ histoires philosophiques ” de considérer, sur la base d’un principe de nécessité, “ l’espèce humaine de manière trop intellectuelle, en fonction de son perfectionnement intellectuel et social ”[12]. A ce titre, il s’en prend à tous ceux qui considèrent “ un progrès supposé à l’infini “avec ” un but déterminé par avance ”, donc “ un perfectionnement toujours plus grand ” dans le cadre d’un“ processus de formation graduelle ”. Il leur oppose “ un moment de procréation morale où l’individu (nation ou personne singulière) devient ce qu’il doit être, non par degrés, mais soudainement et tout d’un coup ”[13]. La mémoire de la Révolution française est encore vivace. Quelle est cette part de nouveauté inhérente à l’individu qui caractérise le moment de la progression ? De quoi procède-t-il ? Nous l’avons vu, le fondement de l’homme est son individualité, ici la vie dans sa “ valeur indépendante ”. Ainsi de “ nouvelles productions ”, en particulier les révolutions historiques et naturelles, manifestent régulièrement la capacité humaine à agir et procréer, sur la base du besoin de sociabilité, un esprit nouveau. Historiquement, l’individualité se concrétise alors dans le rapprochement, jusqu’à l’indistinction, entre la nation et la personnalité singulière. Le cas français apparaît exemplaire à plus d’un titre en ce domaine. “ La nation qui fournit ici le meilleur exemple est la France, puisque dans la mesure du possible, elle est presque toute entière le fruit de la culture ”[14], précise Humboldt. Plus avant, et dans les termes de Sieyès – le rapprochement s’impose ici- la nation française incarne, avec l’existence d’une“ Nation organisée en corps politique ”, “ le tout de la Nation ” dans la mesure où elle trouve son fondement et sa légitimité dans une métaphysique de l’individu et de son action[15]. Une fois en France, Humboldt continue à réfléchir sur l’idée de progression humaine, en rédigeant, selon ses propres termes “ un écrit sur la détermination ultime de l’homme et sur le style élevé dans la pensée, la poésie et l’action ”[16] au sein de la culture allemande, l’essai esthétique sur Hermann et Dorothée de Goethe, au moment même où il rassemble des matériaux sur la culture française. En effet, Il définit ainsi le sujet principal de ce poème :

“Comment le progrès intellectuel, moral et politique est-il compatible avec la sérénité et le calme, le but auquel l’humanité doit tendre en sa totalité, avec l’individualité naturelle de chacun, le comportement de quelques-uns avec le fleuve impétueux de l’époque et des événements, et finalement, ce que l’homme peut métamorphoser et créer en lui-même avec ce qui échappe à son pouvoir, avec ce qui arrive ou se produit autour de lui ? Comment associer tous ces éléments pour que chacun exerce sur l’autre une action fructueuse et que tous concourent à une perfection plus générale ? ”[17].

Le “ moment français ” de Humboldt s’avère alors exemplaire pour une réflexion sur l’unité du genre humain.

II – Un “ répertoire de matériaux ” sur le caractère de l’individu, à la fois personne singulière et nation: le Journal parisien (1797-1799).

Soucieux d’adopter une démarche anthropologique, Humboldt considère donc que la description de l’effort accompli par l’homme pour progresser passe par la connaissance de son individualité dans la concrétisation de son caractère moral. “ Connaître le caractère générique de l’homme ” suppose alors une capacité à “ différencier les caractères humaines ” précise-t-il dans son Plan d’une anthropologie comparée, donc nécessite une démarche comparative. C’est bien son séjour à Paris qui devait lui permettre de rassembler un premier ensemble de matériaux adéquats à une telle connaissance de l’individualité humaine, et qui plus est d’aboutir, côté français, à une réflexion sur le langage comme organe de l’homme en société. Il précise l’urgence intellectuelle d’un tel travail de collecte de matériaux lorsqu’il écrit, dès les premières pages de son Journal parisien: “ L’idée d’un travail sur le siècle et l’anthropologie est presque vieille d’un an et il n’y a cependant toujours rien de concret ”[18]. De fait, lorsque Humboldt arrive à Paris en novembre 1797, il a déjà séjourné auparavant dans la capitale, quelques semaines après la prise de la Bastille: courte période certes, mais où il avait déjà pris l’habitude de noter ses observations et activités journalières. Cependant son second séjour, qui se termine en août 1799, donc qui le maintient à Paris avec toute sa famille pendant plus de deux ans, intervient, au-delà de toute considération privée, à un moment décisif de son trajet intellectuel. Humboldt vient de rédiger deux textes importants, mais qui demeureront inachevés, intitulés Le Dix-huitième siècle et le Plan d’une anthropologie comparée dans lesquels il s’interroge sur le meilleur point de vue pour appréhender le caractère de l’individu, tant l’individu- nation que l’individu dans sa personne singulière. Considérant que la nation allemande manque d’originalité propre, et se prête donc mal à une analyse in situ du caractère humain – son essai esthétique sur un poème de Goethe montrant que la spécificité allemande est plutôt de l’ordre de l’idéal -, Humboldt ressent le besoin d’une expérience comparative aussi performante que possible. Il précise, dans le Plan, que “ le caractère est ce que produisent les forces de l’homme lorsqu’elles s’expriment avec la liberté maximale ”[19]. Ainsi nulle autre nation libre que la France ne pouvait servir de matériau à une telle recherche du caractère de l’humanité. Cependant c’est aussi dans son essai esthétique sur Hermann et Dorothée de Goethe, donc au contact du caractère allemand, qu’Humboldt trouve matière à formuler l’objectif de la quête de l’homme, “ faire apparaître le concept d’un rapport réciproque et d’une organisation interne ”. Il précise alors l’unité de sa méthode, pour arriver ce but, dans les termes suivants :

“Rapporter à soi les traits de la nature, une fois qu’elle a été observée fidèlement et exhaustivement, c’est-à-dire assimiler le matériau, représenté par notre expérience, au monde perçu dans toute son étendue, métamorphoser cette masse énorme de manifestations isolées et sans lien en une unité indissoluble et en un tout organisé etc., grâce à tous les organes dont il a été pourvu, tel est le but ultime recherché par l’homme dans ses efforts intellectuels ”[20].

Le Journal parisien se présente bien sous la forme d’un“ répertoire de matériaux ” classés chronologiquement et thématiquement, même si des feuillets ont été perdus dans les destructions d’une guerre à l’autre. Son caractère exceptionnel tient donc au fait qu’il est partie intégrante d’une réflexion intellectuelle liant étroitement la réflexion abstraite, l’invention théorique et les ressources de matériaux empiriques à forte valeur historique. Il serait fastidieux d’énumérer la totalité des thèmes abordés, d’autant plus que la traductrice Elisabeth Beyer s’en charge en partie et avec une grande concision dans sa lecture du Journal parisien en annexe[21]. Au-delà des nombreuses visites, rencontres, et donc discussions qu’Humboldt restitue avec acuité, au-delà de sa fréquentation régulière des salons de Madame Condorcet, Madame Vandeuil et de façon plus épisodique de Madame Helvétius, de son intérêt pour les séances de l’Institut National, et de son goût pour les représentations théâtrales, nous nous demandons quels sont les thèmes les plus significatifs de son projet initial, et dans quelle mesure ce projet s’enrichit au contact de cette nouvelle réalité de la société intellectuelle et artistique du Directoire. L’aspect le plus frappant à la première lecture du Journal parisien d’Humboldt est sans nul doute les portraits de personnalités. Le plus étonnant est celui de Bonaparte qui se termine ainsi: “ En raison de l’intellectualité de son expression, il pourrait concourir à l’idéal moderne ” (§ 16). Cependant le portrait le plus complet est indéniablement celui de Sieyès, qu’Humboldt rencontre régulièrement entre février et mai 1798. Sieyès accepte de “ parler de bon gré de lui-même et de son parcours révolutionnaire ” avec Humboldt (§ 224). Ne cessant de souligner sa “ présence remarquable ” dans les discussions personnelles, Humboldt précise qu’ “ il incarne tout à fait le Français ” (§ 128) qu’il a un“ caractère authentiquement français ” (§ 11 ). Comme nous l’avons montré dans notre étude sur “ Sieyès et la métaphysique allemande”[22], Humboldt excepte Sieyès des résultats fort décevants de ses discussions philosophiques avec les Idéologues (Ginguené, Daunou, Garat, Destutt de Tracy, Laromiguière, Jacquemont, Cabanis dans l’ordre d’apparition) auxquels ils se confrontent, tant individuellement qu’en groupe, sur la question de la métaphysique allemande. Certes, s’il finit par douter que Sieyès soit “ une véritable tête métaphysique ” (§ 242), en dépit de la proximité de ses idées métaphysiques avec celles de Kant, et surtout Fichte, il n’hésite pas, dès la lecture de ses écrits (§ 112), à en faire le théoricien par excellence du système représentatif par “ la clarté et la perfection ” du style avec laquelle il présente, dès 1789, ce système. A la différence de Rousseau, Sieyès apparaît alors comme l’inventeur du style de la nouvelle langue politique, et par conséquent de l’intelligence politique La comparaison avec sa lecture minutieuse mais tardive (août 1798) de Rousseau (du Contrat Social (§335(aux Confessions (§ 342,344, 361(en passant par les Considérations sur le gouvernement de Pologne (§ 338() et des Rêveries du promeneur solitaire (& 344( ), qu’il annote abondamment, s’avère ici fort instructive. Alors qu’Humboldt vient d’insister, – à propos de la critique injustifiée de Roederer vis-à-vis de Sieyès qui lui reproche de ne pas avoir de système politique – sur la nécessité de développer “ une théorie de la politique strictement scientifique pour en étudier les caractères véritables ” (§ 304), il considère que le Rousseau du Contrat social a échoué en ce domaine, faute d’avoir abordé “ le véritable système représentatif ”. Ainsi, en réaction à l’insistance de Rousseau sur le rôle néfaste de la représentation du peuple, il oppose la remarque suivante “ Absolument pas ! La volonté de la nation ne consiste pas à vouloir elle-même mais à laisser gouverner la raison. Elle laisse aux députés le soin de représenter sa raison politique ”[23]. Ce n’est donc pas à Rousseau qu’il revient d’avoir fondé“ un système véritablement valide en politique ” dans la mesure où il ne peut alors incarner “ l’intelligence politique ” de la Révolution française que de manière critique, et non de manière constructive. Nulle surprise donc si, Humboldt et de nombreux intellectuels allemands considèrent Sieyès, à l’encontre de Rousseau, comme le représentant le plus authentique de l’intelligence politique de la Révolution française dans son acte fondateur de la politique en 1789, sans pour autant minimiser le rôle de Robespierre en la matière. Sieyès lui-même n’aurait-il pas affirmé à l’encontre des Idéologues, au cours de sa première entrevue avec Humboldt,“ qu’il préféreraient les partisans de Robespierre à ceux qu’ils appelaient des philosophes ” (§ 97), même si la prudence lui dicte de se dissocier de “ la posture de Robespierre ” qui consistait à “ faire tomber les meneurs pour se substituer à eux ” (§ 224). Quelles soient les profondes divergences qui séparent Sieyès et Robespierre, ils appartiennent tous les deux au même univers de “ la métaphysique politique”. Cependant Humboldt retient aussi de sa lecture de Rousseau l’aptitude de cet écrivain à énoncer quelques idées forces (“ l’homme est libre ”, “ tout ordre social est fondé sur une convention ” “ le peuple est souverain ”, “ la souveraineté est inaliénable ”, “ la souveraineté ne peut être représentée ”, etc.) en liaison étroite avec le sentiment de la passion populaire, c’est-à-dire au titre de l’insistance sur“ l’acte par lequel le peuple statue sur tout le peuple ”.Il se dissocie donc d’une image courante pendant le Directoire d’un Rousseau purement raisonneur et intellectualiste telle qu’il la retrouve dans la bouche de Madame de Staël. Il s’intéresse plutôt à la dimension performative en politique, et au-delà, des œuvres de Rousseau, à la manière dont s’y déploie, par son maniement de la langue, la force des signes. La question sémiotique de Rousseau est la suivante, quelle est la force du discours, comment ses effets se multiplient-ils ? Il apparaît ainsi une économie de signes dispersés au sein même d’un effet de concentration consécutif à la force des signes[24]. Ce sont ainsi les écrivains français “ géniaux ”, Rousseau, mais aussi Mirabeau et Diderot, qui intéressent Humboldt dans la mesure où, certes forts éloignés des théoriciens allemands, donc de peu d’intérêt en matière de contenu, ils multiplient dans leurs œuvres ruptures et diversions, introduisant ainsi“ de très bons passages pour la langue ”, et de plus sans équivalents en allemand. Par exemple Humboldt note tel “ passage véritablement divin, remarquable quant à la langue ” dans les Rêveries[25] (p. 235). De même il remarque que la langue allemande n’a aucun terme équivalent à l’expression “ partager son cœur et sa personne ” pour caractériser la position particulière d’une femme. Et inversement il précise que la langue française dispose de meilleurs mots, dans certains cas, que les mots abstraits équivalents en allemand[26]. Ainsi se concrétise l’intérêt qu’Humboldt porte, tout au long de son séjour, à la langue française, qui se situe bien au-delà de la théorie analytique du langage des Idéologues. Humboldt multiplie les remarques sur la langue, et les amplifie plus à travers sa lecture de Rousseau et bien sûr ses discussions avec Sieyès, crédités respectivement d’avoir inventé le langage de la volonté politique, puis le langage de la représentation politique sans s’inscrire pour autant dans une même filiation, qu’à partir de ses débats contradictoires avec les Idéologues dont il critique très frontalement le système condillacien dont ils s’inspirent. Dès mai1798, Humboldt précise que le système de Condillac, dont il prend connaissance, “ ne contient rien de profond ni de savant ” en matière de langage et de méthode et qu’il aurait mieux valu que les philosophes français s’intéressent à certaines réflexions “ dispersées ” de Condillac, en particulier la suivante dans l’Essai sur l’origine des connaissances humaines: “ Nous (Français) nous contentons, quand nous parlons des choses, d’en rappeler les signes et nous en révélons rarement les idées ”[27]. Ainsi, très attentif dès le départ aux remarques linguistiques du “ grammairien patriote ” Domergue durant les séances de l’Institut auxquelles il assiste, Humboldt écrit aussi que la langue française se prête souvent aux équivoques et aux ambiguïtés dans la mesure où elle possède trop de mots, en particulier sur le registre de la sensibilité, de la passion. Ainsi ajoute-t-il, dans la lignée de la réflexion de Condillac susdite, que “ les Français manient les signes sans s’apercevoir qu’ils leur manquent le contenu ” (§ 248). Humboldt en vient donc à écrire que “ Les Français n’ont aucune notion de la vraie forme, du lien entre la force et son intuition dans un seul et même effet, et, par matière, ils n’entendent encore une fois que la forme (… (Ils n’ont pas de disposition à l’invention, c’est-à-dire à l’invention purement théorique ” (id.). Analyse critique de la langue française qui explique ses nombreuses réserves sur la façon dont les philosophes français, lorsqu’ils discutent avec lui de métaphysique, réduisent toute expression philosophique à un concept logiquement abstrait, donc à une forme dissociée de la manière dont l’intuition, via l’imagination, leur donne un contenu de réalité. Seul Sieyès perçoit l’enjeu de cette critique en réagissant de manière “ désespérée “c’est-à-dire en qualifiant de métaphore toute expression imagée (par exemple ” partir d’un principe ”, “ la base d’un raisonnement ”) qu’Humboldt utilise dans sa présentation de la métaphysique kantienne (§ 236): il le renvoie ainsi à l’imagination, et à son corollaire la force des signes. Ne précise-t-il pas que “ la métaphysique allemande relève uniquement de l’imagination ” (§ 128) ! Peu à peu, Humboldt devient ainsi sensible au problème de la force des signes dans ses discussions politiques, tout en conservant une stricte attitude synthétique dans les débats métaphysiques. Ainsi, au cours d’une discussion dans le salon de Madame Condorcet, il est étonné de la manière dont l’expression “ système représentatif ” fait impression parmi les auditeurs des conversations au détriment de son contenu, et s’oblige alors à présenter ses idées sur l’incorrection dans l’usage présent de cette expression majeure de tout système politique (§ 242). Enfin de compte, son intérêt grandissant, encore une fois à propos de Rousseau, pour “ l’esprit français et sa langue ”(§ 364), contribue à l’introduire, bien mieux que la question de la langue analytique, au problème de la langue. Est-ce un hasard si nous terminons la lecture de son journal en matière linguistique par son enthousiasme pour la Grammaire de Sicard ! “ Ouvrage génial ”, précise-t-il, dans la mesure “ il contient entre autres choses un moyen sublime de rendre intelligible la manière dont l’esprit fait abstraction ”(§ 421). Humboldt linguiste emprunte bien le chemin d’un questionnement sur la langue au terme de son séjour parisien, mais sans passer véritablement par le système de la langue analytique de “ l’école de Condillac ” comme il a été trop souvent affirmé. Autant il serait absurde de considérer que l’émergence d’une pensée linguistique chez Humboldt est de pure filiation allemande, autant il est peu convaincant, à la lecture de son Journal parisien, d’attribuer exclusivement cette évolution à l’influence de la philosophie du langage des Idéologues. A vrai dire, il vaut mieux, à l’instar de Jürgen Trabant[28], concentrer notre attention sur les impulsions multiples suscitées par un contact diversifié et un intérêt comparatif pour la culture française dans son unité même, c’est-à-dire son caractère propre.

III – De l’héroïsme féminin allemand au caractère des femmes françaises.

Humboldt s’intéresse aussi, tant dans le Plan d’une anthropologie comparée, dans Hermann et Dorothée de Goethe que dans son Journal parisien, au “ caractère des femmes ”, d’abord du point de vue de l’idéal par une réflexion originale sur “ le caractère féminin ”, et de surcroît sur “ l’héroïsme féminin ”, puis in situ à l’occasion de ses fréquentes rencontres avec des femmes de l’intelligentsia parisienne, en particulier Madame de Condorcet et Madame de Staël. Constatant l’absence du trait de caractère le plus sublime de l’homme, l’imagination poétique, chez les Français, et plus particulièrement, nous le verrons, chez les Françaises, Humboldt reporte sa réflexion en la matière sur le caractère allemand, en particulier dans son essai esthétique sur Hermann et Dorothée de Goethe. Il est en effet soucieux de délimiter “ une théorie de l’expérience ordonnée philosophiquement ” qui permette, par la médiation esthétique, de “ métamorphoser l’individuel en idéal ”[29], de déterminer “ un caractère à la fois d’individualité absolue et d’idéalité parfaite ”, donc de “ transporter l’homme dans un champ infini ”[30], Humboldt s’intéresse alors tout particulièrement à la figure du poète. Un observateur qui distingue l’élément le plus infime dans le monde des phénomènes, qui dispose du pouvoir d’accroître à l’infini la diversité des rapports humains, qui analyse en pensée ce que nos sens perçoivent par une démarche purement intellectuelle, et qui suscite enfin l’enthousiasme de notre faculté de sentir permet à l’homme de progresser en union harmonieuse avec la nature[31]. Le poète est bien cet observateur -philosophe qui nous fait découvrir le caractère de l’individualité, et permet ainsi à l’homme de se dresser de tout son être. Il rend possible le suivi de l’homme dans son développement, et par là même suscite un jugement moral sur ses progrès. Et Humboldt d’en conclure: “ Pour cette raison, on peut qualifier notre poète, plus que n’importe quel autre, d’humain[32]. Il s’agit alors de présenter, par l’art poétique, les contours nets d’individu (e), et ainsi d’achever le règne des idées, condition nécessaire à la formation d’un sentiment d’enthousiasme chez ceux qui contemplent le spectacle d’une telle individualité achevée. C’est bien la poésie et son corollaire la narration, en tant qu’ “ art médiatisé par la langue ”, qui vont “ susciter quelque chose dépassant ce que l’art et la langue représentaient chacun pour soi ”[33]. C’est alors à travers le concept d’héroïsme, et plus particulièrement d’ “héroïsme féminin ”, que ce quelque chose fait son apparition, exprime l’idéalité[34]. En effet, par ce biais narratif, il est désormais possible de “ présenter à notre imagination les progrès de l’humanité qui déterminent tout autant sa force interne que son mouvement externe ”. Et c’est présentement en dépeignant une famille bourgeoise allemande de la fin de notre siècle que Goethe arrive à une telle présentation. Humboldt distingue “ l’héroïsme moral ”, qu’il va préciser à l’aide du personnage de Dorothée, de“ l’héroïsme sensible ”. L’héroïsme sensible procède en général d’un état d’ “ exaltation héroïque ” où l’imagination mobilise les sens externes de l’homme sur une grandeur posée d’emblée, donc prise dans son éclat initial, et qui n’obéit ainsi à aucune règle, ni harmonie préétablies, au risque de se laisser guider par le hasard des rencontres et pire encore par les préjugés. Il est donc dénué de toute valeur morale légalement déterminée. Il en est tout autrement pour l’autre forme d’héroïsme :

“L’héroïsme moral réside tout entier dans la disposition fondamentale de l’esprit. Sa valeur est intrinsèque et indépendante de quoi que ce soit, à l’exception du sentiment dont il jaillit; il nous transporte au cœur d’une émotion grave et profonde et nous ramène en nous-mêmes ”[35].

De l’héroïsme moral, Humboldt retient alors la formation d’ “ un état de contemplation sensible ” qui permet d’appréhender le monde et l’humanité par le seul fait de la narration de faits et gestes qui prennent un caractère héroïque, puis sublime dans leur développement même, parce qu’ils se présentent à notre imagination, dans la révélation progressive d’un caractère, comme une présentation des progrès de l’humanité. C’est alors au terme de la caractérisation de l’individualité d’une famille allemande, et présentement dans la figure de Dorothée certes intimement associée à celle d’Hermann qu’Humboldt, à la suite de Goethe, décrit un tel héroïsme moral, de surcroît l’héroïsme féminin tout en précisant la difficulté de la tâche: “ traiter de l’héroïsme féminin est un entreprise ardue et qui exige beaucoup de doigté ”[36]. Tout commence par la description aux contours nets de la silhouette de Dorothée, figure sont le devenir en mouvement est d’emblée indiqué par levers suivant: “ Presque personne, dans son développement, lui est comparable ”. Elle est ainsi une image sensible suscitant l’enthousiasme de celui qui en parle, Hermann, et dans sa suite du lecteur. Prise dans le regard d’Hermann, son autonomie, ou plus exactement sa fusion avec Hermann dans une grandeur sublime, n’est acquise qu’au terme d’un mouvement narratif où elle apparaît d’abord, sous le regard du narrateur, dans le convoi des émigrés forte de sa détermination, puis, dans le récit même de ses actes, faisant preuve de courage par sa résistance, arme à la main, contre “ les guerriers déchaînés ” qui avaient attaqué le convoi. Vient enfin la rencontre entre Dorothée et Hermann où transparaît au-delà de son courage, de sa bienveillance, de son dévouement, sa grandeur sublime, moment donc de fusion dans un unique caractère humain. En fin de compte, pourquoi ce poème de Goethe élève-t-il aussi haut “ la puissance créatrice du sexe féminin ”[37]? Humboldt attire alors notre attention sur la manière dont Goethe associe la révélation de la grandeur sublime de ces personnages, et Dorothée en premier lieu, et les événements exceptionnels qui président à la tension si caractéristique des personnages de Dorothée. Il s’agit en l’occurrence d’un événement unique dans l’histoire de l’humanité, la Révolution française[38]. On y trouve d’abord “ le noble enthousiasme pour la liberté ” qui tend à unir l’esprit et le cœur, les idées et le sentiment dans la quête de l’autonomie de l’humanité. Mais la Révolution française renvoie aussi à une réalité nationale, née de la guerre contre l’étranger, et provoquant “ le tableau émouvant ” de la foule des personnes émigrés à laquelle s’agrège notre héroïne, Dorothée. Humboldt souligne donc l’importance accordée par Goethe au caractère féminin dans de telles circonstances révolutionnaires, en précisant que “ désormais, toute culture politique doit être sous-tendue par le développement moral du caractère ”[39] dont la femme est la principale inspiratrice. Il montre ainsi que le rôle dominant de la femme dans la sphère domestique n’est plus dissocié de la sphère politique, par sa valeur hautement morale, sa capacité à incarner le perfectionnement croissant de l’espèce humaine. En effet, “ la pure féminité ”, c’est-à-dire “ l’essence de la féminité ” incarnée par Dorothée, allie “ la culture la plus naturelle et la culture la plus poussée ”.[40] “ La détermination générale de la femme ”, c’est-à-dire son “ individualité de caractère ” apparaît aussi bien sous la forme domestique usuelle d’un “ empressement dévoué ” au sein du convoi des émigrés éplorés que sous la forme idéale d’une“ adresse réfléchie ” dans la conduite compréhensive, habile et raisonnée qu’elle tient auprès des hommes, et Hermann en premier lieu. Rappelons la formule d’Humboldt évoquée au début de cet article, “ L’individualité est la force dont le caractère est l’actualisation ”. Dans une cette perspective qui a l’idéal de perfection humaine comme horizon, “ la puissance créatrice de la femme ”, donc son Je originaire, son individualité propre apparaît comme “ l’idéalité de la description du caractère ”[41], description située au cœur, nous l’avons vu, du projet anthropologique d’Humboldt.

Cependant une telle idéalité du caractère héroïque de la femme, dans le contexte de traduction de la Révolution française au sein de la culture allemande, fait sensiblement contraste avec la manière dont Humboldt prend en compte, certes pour la critique, l’opinion de ses contemporains dans son Plan d’une anthropologie comparée, et plus encore dresse des portraits de femmes françaises auteures dans son Journal parisien. Nulle surprise si le débat humboldtien sur la différence des sexes est centré autour de la question d’une union nécessaire entre individualité et idéalité dans le but d’harmoniser la progression humaine. Cependant, à l’exception de Goethe et de quelques autres, ses contemporains, lorsqu’ils abordent le caractère féminin, confondent l’accidentel avec l’essentiel au détriment de la compréhension de l’essence féminine, de son rôle majeur dans la constitution de l’individu – nation. En interdisant aux femmes l’accès à la culture, et plus particulièrement politique, ils usent d’arguments, – leur manière hâtive de conclure, leur incapacité à raisonner abstraitement et leur dépendance vis à -vis des sentiments – qui relèvent des circonstances particulières dans lesquelles les femmes sont formées, et qui tendent à leur conférer une propension dominante à la subjectivité. Mais si l’on quitte ces contingences, certes fort contraignantes pour les femmes, et si l’on s’interroge vraiment sur l’essence de la féminité, nous y trouvons une capacité, certes rare, à harmoniser immédiatement tout son être, alors que l’homme, pris dans un système conceptuel préétabli, doit tendre toutes ses forces dans une même direction pour arriver au même but. En effet, précise Humboldt, “ dès l’instant où les femmes observent la nature, elles se l’approprient ”. Et d’en conclure :

“Un effort prédominant pour rattacher immédiatement l’observation extérieure à l’individualité intrinsèque, pour accueillir la vérité en soi grâce aux sens, à l’intuition et à l’entendement, plutôt que de la quêter par l’entendement et les capacités d’abstraction, la propension à unir en une paix harmonieuse les penchants et les devoirs, voilà, par conséquent, une propriété essentielle du caractère féminin. C’est un trait accidentel, en revanche, quand, chez certains individus, l’objet se perd dans le sujet, que la vérité le cède à l’imagination, et que les penchants l’emportent sur la conviction fondée ”[42] .

Qu’en est- il, au -delà de cette caractérisation propre, de la féminité des Françaises qu’Humboldt rencontre au cours de son séjour parisien. Nous sommes d’abord frappés par son insistance sur le rôle négatif des femmes en politique, lorsqu’elles sont situées dans un ensemble indistinct. Ne rapporte-t-il pas que “ Du 9 thermidor au 13 vendémiaire, la réaction fut principalement organisée par les femmes et elles n’admirent personne qui eût pu être républicain, fût-ce en apparence ”[43]. Ce rôle actif dans la réaction s’exerce tout particulièrement sur la personne de Sieyès dans la mesure où elles attiseraient en permanence la haine de ses ennemis, tout en circonvenant ses amis. Humboldt rapporte, qu’au moment du débat sur la constitution de l’An III (1795), des femmes envoyaient des billets aux députés de la Convention “ disant qu’il fallait se méfier de personne plus que de Sieyès ”[44]. Il est vrai que Sieyès leur rend bien en considérant que “ l’amour du vrai ” est étranger aux femmes et que les philosophes français, faute d’être des métaphysiciens, sont des littérateurs en philosophie, “ de ces philosophes pour les femmes “précise-t-il dans une discussion avec Humboldt (§224)[45]. Humboldt en vient ainsi, dans une discussion sur “ le caractère des femmes ” avec Madame Talma (§ 386), à préciser l’attitude négative des femmes en matière de politique progressive par leur aversion aux discours politiques des hommes: “ Les femmes y avaient pourtant eu leur propre part de responsabilité, ayant trouvé ennuyeux, au début de la Révolution, les discours politiques des hommes et s’en étant moquées ”. La brouille entre Sieyès et les femmes ne date pas du Directoire !

Cependant, toujours soucieux d’appréhender le concret de l’héroïsme féminin, au moins dans sa dimension sensible, Humboldt explore le caractère d’individualités particulières dont il interroge l’exemplarité, principalement Madame de Condorcet et Madame de Staël. Dès sa première rencontre avec Madame de Condorcet, il la perçoit comme “ fort française, et tout le contraire de l’idéal ” (§ 213). La lecture de ses Lettres sur la théorie des sentiments moraux et sur la sympathie (§ 289) le confirme dans sa première impression. De son “ style sec et uniforme ”, il retient qu’elle n’a “ rien de féminin, rien de beau, aucun caractère élevé ni charmant ”, conséquence de l’absence de sublime dans ses écrits. Il est vrai qu’Humboldt vient de préciser, à la lecture de l’ouvrage de Madame de Staël De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations ce qu’il en est de “ la liberté absolue de l’être moral ”, reposant ainsi, à partir du caractère de la personne et des écrits de Madame de Staël, la difficile question de l’héroïsme féminin (§ 280). L’héroïsme moral, rappelle Humboldt, relève de “ l’idée d’humanité élevée, authentique ”. Il est la synthèse de l’extériorité et de l’intériorité. Sa part de liberté négative lui permet d’abord, sous le poids de la force naturelle de la passion, d’atteindre “ le principe d’une indépendance morale ”. Mais il existe aussi, dans sa part de liberté positive, par sa capacité à se concentrer sur un Moi enrichi de chaque expérience passionnelle, se détachant ainsi de la possession extérieure pour “ s’en tenir à ce que possède d’immuable l’être intérieur ”. Madame de Staël demeure au seuil d’un tel héroïsme par sa peur de souffrir dans les passions, donc par sa volonté d’en fuir les objets. Écrivant un livre contre son propre objet, “ la passion dans toute son intensité et toute son ardeur ”, elle révèle un caractère qui refuse de vivre, de posséder l’objet de son désir qui dévorerait son corps mais donnerait à son âme un caractère authentique, ce qui lui permettrait de jouir de la satisfaction atteinte, une fois la passion révolue. D’une certaine façon, chez elle, “ l’objet se perd dans le sujet ”, pour reprendre la formule d’Humboldt lorsqu’il veut désigner les femmes prises dans les circonstances, ce qui l’empêche d’acquérir “ une force autonome et libre ”. Ne précise-t-elle pas devant Madame de Condorcet (§ 305), et à juste titre selon Humboldt, que “ Je me sens de l’esprit et du talent, mais je ne gouverne pas ce que je possède ”. Au risque de se laisse envahir par les objets de la passion qui s’emparent de sa personnalité exceptionnelle, elle préfère, une fois qu’elle en a éprouvés la force, s’en défaire. Cependant Humboldt termine sa lecture critique de l’ouvrage de Madame de Staël par la remarque suivante :

“Il est difficile de juger du caractère de Madame de Staël d’après ce livre. On voit aisément ce qui fait défaut. Mais il s’avère absolument impossible de déterminer par ce seul biais ce qui fait sa force, son genre d’ardeur et d’imagination qui est le sien ”[46]

Humboldt s’efforce donc de partir donc à sa rencontre pour en savoir plus, mais non sans quelque difficulté. Il commence alors par discuter d’elle avec Madame Vandeul et Madame de Condorcet (§ 301 et 305). La mention de son éducation fort libre au milieu de la haute société et parmi les hommes, son manque de certaines qualités féminines, en particulier le sentiment maternel, et son excès d’autres qualités féminines, sa fidélité en amitié, son côté virago dans son apparence et son commerce, fascinent immédiatement Humboldt. Lorsqu’il déjeune enfin chez elle le 16 septembre 1798, il s’efforce de résister à l’esprit, le talent et la maîtrise qu’elle manifeste dans la conversation (“ Ses dons oratoires étaient sans pareils ”), un fois installé sur sa table de travail. Il note ainsi qu’elle a “ une individualité dénuée de poésie ”, donc qu’elle n’a “ aucun sens de l’imagination poétique ”. Il précise également que son échange avec Benjamin Constant, auquel il a assisté passivement, a été plus divertissant que profond. Mais il ne peut s’empêcher d’écrire, dans le compte-rendu de sa seconde rencontre à déjeuner, qu’ “ elle me plut à nouveau extraordinairement, elle a surtout quelque chose dans les yeux qui, parce qu’il révèle un sentiment plus profond, attire infiniment ”[47], attirance dont il ne nous dira rien de plus ! A vrai dire, au-delà des critiques sur son manque d’imagination poétique et sa propension à véhiculer des stéréotypes sur l’amour et la vanité des femmes, la force qu’un Humboldt fasciné attribue à Madame de Staël demeure une énigme pour le lecteur de son Journal. On peut cependant penser qu’il lui reconnaît un certain héroïsme du fait d’une unité indéniable de sentiment et de caractère, d’une ardeur sans pareil du tempérament et de la passion, donc une force peu commune, mais sans rien d’élevé, d’idéal, de profond, de sublime à l’égal du sentiment d’harmonie, vrai supplément d’âme que l’on trouve dans le caractère allemand, à l’exemple de Dorothée.

IV- Sur la langue.

Toujours en quête de la rencontre la plus authentique possible entre l’homme et le monde, Humboldt en arrive au terme de son cheminement vers le langage par les voies multiples que nous avons décrites au titre de la comparaison entre le caractère allemand et la culture française: d’abord la prise en compte, côté français (Rousseau), de la force des signes, ensuite la définition côté allemand (Goethe) de la poésie comme art médiatisé par la langue , enfin les considérations, à partir d’une telle base comparative, sur le style étant entendu que “ le caractère est le style d’une langue ”, portant à la fois sur le style de la langue politique (Sieyès) et sur “ l’esprit français et sa langue ”. Nous nous référons alors à un texte essentiel, mais beaucoup plus tardif, son célèbre fragment Sur le caractère national des langues, daté de1821, ainsi qu’à d’autres écrits sur le langage récemment traduits en français par Denis Thouard[48]. Mais surtout, nous bénéficions en ce domaine des recherches de Jürgen Trabant sur Humboldt linguiste, dans ses deux ouvrages traduits en français, Humboldt ou le sens du langage et Traditions de Humboldt[49]. Pouvoir de relier l’entendement et la sensibilité, l’activité langagière est ici centrale, certes dans la lignée d’un mécanisme kantien de schématisation qui permettait de donner une forme à l’expérience sensible, donc qui suscite la production d’une connaissance par l’entendement humain, mais qui n’accordait pas vraiment une grande importance au langage[50]. D’Humbodt à Trabant, le langage apparaît ainsi comme une sorte de “ médium sensible ”, “ à la fois œuvre de l’homme et expression du monde ”[51] selon la formulation d’Humboldt lui-même. Il est“ l’organe qui donne forme à la pensée ”[52]. Dans ses thèses non-traduites Über Denken und Sprechen, datées de 1795-1796, donc de la période de“ découverte ” de la centralité du langage, Humboldt écrit à ce propos “ Or, l’appel par les sens des unités auxquelles certaines portions du penser sont unies, pour être comme des parties d’autres parties d’un plus grand tout confrontées comme des objets aux sujets se nomme, au sens le plus large : le langage ”[53]. Au-delà de sa fonction de communication, le langage est donc le moyen privilégié de constitution de soi et du monde. Il produit immédiatement la pensée et en révèle donc la dimension réflexive. Dans une perspective humboldtienne, “ toute pensée, toute construction intellectuelle est d’abord rendue possible par le langage ” précise alors Denis Thouard qui nous permet, par ses traductions, d’approcher “une pensée en activité dans une langue de travail ” et dans ses termes mêmes[54]. Humboldt s’interroge alors en permanence sur la part que prend le langage à la constitution des représentations, donc sur sa fonction cognitive. Ainsi le langage ne sert pas uniquement, dans une perspective analytique, à désigner ce qui est pensé. Et en cela le paradigme analytique des Idéologues intéresse d’autant moins Humboldt qu’il énonce la prééminence de l’analyse sur le langage, sur sa capacité synthétique d’abstraction. Humboldt, comme Sieyès, s’intéresse, au langage comme expression même de la pensée, de l’ordre de la connaissance[55]. Le langage est donc avant tout un outil synthétique majeur, le moyen privilégié de constitution de la pensée. Humboldt énonce ainsi la nécessaire réciprocité du mot et de la pensée dans l’association intime entre l’unité du mot et l’unité du concept lorsqu’il considère que “ le mot transforme le concept en un individu du monde des pensées ”[56]. L’altérité du mot -pensée se constitue alors de la façon suivante: la pensée devient objet en se projetant hors du moi, et ainsi se différencie de la force subjective, mais ce nouveau contenu de réalité fait aussi vite retour dans le moi sous la forme du mot[57]. L’union de la pensée et du mot s’achève dans le concept de l’individualité dont nous avons déjà parlé. En d’autres termes, le linguiste doit prendre prioritairement en compte le fait que“ l’homme ne peut s’approcher du domaine purement objectif du langage que selon son mode de connaître et de sentir, donc par une voie subjective ”[58]. Il s’agit alors de revisiter la tradition de la critique de l’arbitraire du signe, déployée de l’humanisme à Condillac en passant par l’empirisme, du point de vue de l’historicité des discours et des langues[59]. Humboldt confère d’emblée au mot une vérité pragmatique, met l’accent sur une manière individuelle d’être issue de la “ force de conscience de soi ” et d’une “ expression du moi ”, donc fortement marquée par la présence naturelle du Je performatif et de sa traduction conceptuelle en termes d’individualité. De l’objectivation du lien entre sensibilité et entendement ainsi achevé par le fait du langage à l’individualisation subjective des langues, donc à leur comparaison, le passage obligé est bien celui de la description du caractère individuel et national de telle ou telle langue. L’anthropologie comparée des langues, proposée par Humboldt, nous mène ainsi, sur la base d’un penchant à la sociabilité, de la capacité linguistique de l’individu à celle de la nation. Précisons ici que le caractère d’une structure linguistique est ici l’effet des transformations historiques induites par les locuteurs dans leur usage de la langue. La langue actualisant en permanence la pensée, le mot achevant le concept, la variation constante des usages agit dans la langue elle-même de la façon suivante: “ Ce que l’usage bien adapté à sa fin emprunte au domaine des concepts agit en retour sur eux en les enrichissant et en leur donnant forme ”[60]. Humboldt s’intéresse donc à l’achèvement des langues dans le discours, c’est-à-dire à leur “ usage approprié “contre le linguiste structuraliste qui ” s’occupe uniquement de l’organisme des langues ”, donc “ les considère uniquement comme l’instrument d’un usage possible ”[61]. L’insistance d’Humboldt sur la nature langagière de la pensée fait des langues empiriques un espace de découverte de la vérité des concepts mais relève aussi d’un refus de dissocier le transcendantal et l’empirique (ou l’historique). En accordant une place centrale au langage dans une histoire des représentations, aux langues comme “ visions du monde ”[62], Humboldt achève en quelque sorte le processus kantien de schématisation sur un plan sémiotique. En effet, dans le mécanisme de schématisation qui permet de donner une forme à l’expérience sensible au sein même de l’entendement, le schème étant alors un concept qui se temporalise au sein de l’imagination. La centralité du langage comme organe de la pensée tient alors au fait que c’est le mot qui donne la forme achevée de ce concept. C’est bien l’imagination déployée dans le langage qui ouvre à l’inconnu, ainsi que le montre Jürgen Trabant dans la comparaison avec Vico[63]. A l’encontre du penseur italien qui considère l’imagination comme une simple forme de la mémoire, Humboldt associe étroitement image et signe, corps et esprit dans la synthèse du mot et du concept, au point de reconnaître dans la production du mot ce que la linguistique moderne a appelé la double articulation, c’est-à-dire le caractère à la fois indissociable et discernable de l’expression et du contenu.

Dans sa lettre à Schiller du 23 juin1798[64], Humboldt précise, à la suite de sa “ rencontre métaphysique ” avec Sieyès et les Idéologues que“ s’entendre est réellement impossible ” avec ces philosophes sensualistes, Sieyès excepté. Les Idéologues s’en tiennent, en effet, à la seule signification logique des termes, c’est-à-dire à leur forme abstraite issue d’une diversité sensible de réalités particulières, sans y rechercher une unité théorique. Ils n’aboutissent donc jamais à la signification métaphysique des termes, au sens où le Moi confère une signification à une réalité expérimentée selon le principe de l’action et de la réaction. C’est donc bien vers d’autres voies que la pensée analytique qu’Humboldt se dirige lorsqu’il veut aborder le caractère propre de la culture française. Il s’agit tout d’abord de la voie royale de l’intelligence politique, incarné par Sieyès inventeur de l’unité de la nation, du système de la représentation politique. Il s’agit aussi, d’une annotation à l’autre sur les expressions de la langue française inconnues dans leur traduction allemande, de mots exprimant une étonnante force des signes dans ses temps révolutionnaires. Enfin la comparaison esthétique, en matière de caractère des femmes, entre la culture française et la culture allemande nous introduit à la continuité entre l’ordre naturel et l’ordre social. En effet, au-delà des pouvoirs de l’intellect et de l’imagination, Humboldt est à la recherche de “ la vérité pragmatique ”, vérité qui s’inscrit dans la marche globale de la nature – de l’ordre naturel dirait Sieyès -tout en considérant l’événement extraordinaire de son temps, la Révolution française[65]. Dans un tel cheminement “ français ”, c’est bien à l’historicité des langues et des cultures, au titre de leur traductibilité réciproque, qu’Humboldt s’intéresse. Certes, sa lettre à Jacobi du 26 octobre 1798[66], où il est longuement question du caractère national français, précise que les Français du Directoire ont perdu une grande part de leur énergie révolutionnaire, de leur “ principe intérieur de vie ” sous la pression de l’intérêt extérieur. Cependant le “ moment français ” d’Humboldt demeure, dans la lignée des réflexions de Gramsci sur la traduisibilité des langages[67], “ un moment de la vie historico-politique ” décisif pour comprendre en quoi les cultures allemande et française sont traduisibles réciproquement, au point d’être unifiées sur l’essentiel, le point de vue pragmatique de la progression humaine.

NOTES

[1] “ Goethe, Humboldt : poétique et herméneutique de la traduction ”, La force du langage. Autour de l’œuvre d’Henri Meschonnic, dir. J.-L. Chiss et G. Dessons, Paris, Champion ,2000.

[2] “ Penser Humboldt aujourd’hui ”, in La Pensée dans la langue. Humboldt et après, dir. Henri Meschonnic, Paris, P.U.V, 1995.

[3] “ Les figures de la progression politique. L’archéologie de l’idée de progrès (16ème-18ème)”, Le Monde Alpin et Rhodanien, 3/2001, p. 113-125.

[4] Ce texte a été traduit en 1867 par Henri Chrétien. Une nouvelle traduction s’impose. Sur l’importance de ce texte pour la compréhension de la relation d’Humboldt à la révolution française, voir l’ouvrage majeur de Jean Quillien, L’anthropologie philosophique de Humboldt, Presses Universitaires de Lille, 1991, en particulier le chapitre III.

[5] Voir la traduction récente de Christophe Losfeld aux Presses Universitaires de Lille, 1995.

[6] Ibid., p. 56.

[7] Ibid., p. 43.

[8] Ibid., p.127.

[9] Ibid., p. 107.

[10] Ibid., p. 174.

[11] Voir la traduction de A. Disselkamp et A. Laks aux Presses Universitaires de Lille, 1985.

[12] Ibid., p. 47.

[13] Ibid., p.49.

[14] Ibid., p. 54.

[15] Sur Sieyès, voir notre article synthétique, “ Nation, individu et société chez Sieyès ”, Genèses, N°26, avril 1997, p. 4-24.

[16] Première mention du Journal parisien, (1797-1799), excellemment traduit par Elisabeth Beyer chez Actes Sud, 2001, p. 29.

[17] Traduction de Christophe Losfeld aux Presses Universitaires de Lille, 1999, p. 194.

[18] Ibid., p.41.

[19] Plan d’une anthropologie comparée, op. cit., p. 186.

[20] Essais esthétiques sur Hermann et Dorothée de Goethe, op. cit, p. 66.

[21] Journal parisien, op.cit., p. 321-329.

[22] Publiée dans le N°317 des A.H.R.F.

[23] Journal parisien, op. cit., p. 228.

[24] Voir Francine Markovits, L’ordre des échanges, Paris, PUF, 1986, en particulier le chapitre II sur l’efficace des signes chez Rouseau.

[25] Ibid., p. 235.

[26] Ibid., p. 249.

[27] Ibid. p. 91-92.

[28] Traditions de Humboldt, Paris, Éditions de l’EHESS, 1999.

[29] Essais esthétiques sur Hermann et Dorothée de Goethe, op. cit., p. 69

[30] Ibid., p. 93.

[31] C’est pourquoi ce poème “ offre un riche contenu à l’esprit et au sentiment ”, Ibid. , § XLIV, pages 139-140.

[32] Ibid., p. 143.

[33] Ibid., p. 93.

[34] Le concept d’héroïsme est présenté, discuté dans les § LXXII et suivants, ibid., p. 184 et svtes.

[35] Ibid., p. 184.

[36] Ibid., p. 117.

[37] Expression utilisée page 199, ibid.

[38] Voir le paragraphe LXXX intitulé “ Grandeur des caractères et des événements qui apparaissent dans le poème ”, ibid., p. 106-107.

[39] Ibid., p. 199.

[40] Voir le paragraphe XCVII intitulé “ Présentation, en Dorothée, de la pure féminité ”, ibid., p.226.

[41] Titre du § XCVII, ibid., p. 227.

[42] Plan d’une anthropologie comparée, op. cit. , p. 145.

[43] Journal parisien, op. cit. , p.165.

[44] Ibid., p. 111.

[45] Sur ” l’antiféminisme ” de Sieyès, voir notre commentaire d’un de ses principaux écrits , certes courts, en la matière dans “ Sieyès, la vérité et les femmes ”, Annales Historiques de la Révolution française, N°306, octobre-décembre1996.

[46] Ibid., p. 168.

[47] Ibid., p. 264.

[48] Edition bilingue allemand -français, Essais, Seuil, 2000.

[49] et publié respectivement chez Mardaga, en 1992, et aux Editions de la MSH, 1999.

[50] Si la sémiotique demeure extérieure au dessein de la philosophie transcendantale de Kant, il n’en reste pas moins que sa conception du concept empirique, donc sa théorie du schématisme; est liée à la manière dont nous usons des mots de notre langue. Voir sur ce point les ouvrages de Lia Formigari, La sémiotique empiriste face au kantisme, Bruxelles, Mardaga, 1994 et de Umberto Eco, Kant et l’ornithorynque, Paris, Grasset, 1999.

[51] Cité par J. Trabant dans Tradition de Humboldt, op.cit., p. 33

[52] Ibid., p.37.

[53] Traduction d’H. Meschonnic dans “ Penser Humboldt aujourd’hui ”, op. cit. , p. 44.

[54] Voir le très utile glossaire de Denis Thouard dans Humboldt, Sur le caractère national des langues, op. cit.

[55] Sur Sieyès, voir notre article “ Sieyès et le monde lingual (1773-1803) ”, Travaux de linguistique, N°33, 1996.

[56] Ibid., p.95.

[57] La proximité métaphysique d’Humboldt avec Sieyès est ici particulièrement marqué. Voir notre étude sur “ Sieyès et l’ordre du moi. De la dignité sociale à la duperie de soi ”, Figures de la duperie de soi, Paris, Kimé, 2001.

[58] Sur le caractère national des langues, op. cit. , p. 101.

[59] Henri Meschonnic précise, à ce propos, que, chez Humboldt, “ le langage comme forme implique le” radicalement “ arbitraire du signe, c’est-à-dire non plus le conventionnalisme ordinaire, mais le langage comme historicisation radicale du monde ”, “ Penser Humboldt aujourd’hui ”, op. cit., p.20.

[60] Ibid., p 81.

[61] Cité par J. Trabant, Traditions de Humboldt, op. cit., dans la note 7 page 72. Sur l’apport en linguistique de cette réflexion humboldtienne en matière d’achèvement du concept dans la variation constante des usages, voir notre étude, “ La connexion empirique entre la réalité et le discours ”, Marges.linguistiques.com, N°1, 2001.

[62] Voir Sur le caractère national des langues, op. cit. , p. 180-182.

[63] Dans le chapitre 7 de Traditions de Humboldt, op. cit.

[64] Traduite dans F. Azouviet D. Bourel, De Königsberg à Paris. La réception de Kant en France (1788-1804), Paris, Vrin, 1991, p. 109-112.

[65] Voir les Essais esthétiques sur Hermann et Dorothée de Goethe, op. cit. , 207.

[66] Ed. Leitzmann, Halle, S. Max Niemeyer, 1892. Une traduction de cette lettre importante s’impose.

[67] Voir en particulier le§ 47 du cahier 11 des Cahiers de prison, traduction Gallimard, 1978.


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