Dossiers d’HEL n° 3
Les structuralismes linguistiques.
Problèmes d’historiographie comparée
Numéro dirigé par Christian Puech (avec la collaboration de Jacqueline Léon et Elisabeth Lazcano)
Colloque SHESL 2005
Les structuralismes linguistiques
Problèmes d’historiographie comparée
Colloque de la Société d’Histoire et d’Epistémologie des Sciences du Langage :Vendredi 4 et samedi 5 février 2005.
Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines,
15 parvis René Descartes, 69007 Lyon.
Responsable scientifique : Christian Puech.
On se souvient que l’ouvrage de G. Lepschy – rédigé progressivement dans les années 60, mais paru en 1968 en traduction française a eu un rôle “paradigmatique” en France dans la diffusion des idées (linguistiques) structuralistes, alors que se mettait en place un enseigneraient universitaire systématique dans les départements de Lettres, au moment même où les “idées structuralistes” étaient débattues bien au-delà du cercle relativement étroit des linguistes, et alors que Benveniste – prenant acte des critiques de Chomsky soulignait le “comique” de ce succès anachronique.
Aujourd’hui, la situation a changé. On ne sait trop si le paradigme structuraliste a été profondément intégré, s’il a été dépassé, s’il a été rendu obsolète par son succès même …ou par ses limites.
La “re-découverte” des manuscrits saussuriens a peut-être changé nos représentations de cette histoire. En tous cas, les ouvrages cherchant à donner une image synthétique ou au contraire plus circonstanciée (structuralisme est-européen, américain, européen, réception internationale du Cours de linguistique Générale…) de ce paradigme se multiplient.
Malgré la relative proximité de la période concernée (les années 50-60), le structuralisme est peut-être aujourd’hui un objet historique. Est-il temps de faire l’histoire du structuralisme ? Comment ? Selon quelle périodisation ? Quel empan géographique ? Culturel ?
PROGRAMME
Vendredi 4 février, après-midi
Est-il temps de faire l’histoire des structuralismes ?
15h 40 – Pause16 h – Stijn Verleyen (Université de Leuven)
La phonologie diachronique de Martinet et ses sources pragoises16 h 40 – Franco Lo Piparo (Université de Palerme)
Le premier manifeste du structuralisme linguistique: le chapitre 20 de la Poétique d’Aristote.
Samedi 5 février, matin
Du Mémoire au Cours : une filiation phonologique du structuralisme ?
10 h 05 – Jean-Claude Chevalier (Université Paris VIII)
Linguistique et philologie françaises devant l’analyse des structures. 1880-195610 h 55 – Pause11 h 10 – Jörn Albrecht (Université de Heidelberg)
La pénétration des idées structuralistes dans les pays germanophones
12 h – John E. Joseph (Université d’Edinburgh)
Pour une réévaluation des frontières nationales dans la linguistique des années 1930-60
Samedi 5 février, après-midi
La table ronde réunira certains des participants plus d’autres autour :
– d’un ouvrage choisi par chacun et présenté de manière critique ;
– des problèmes que pose le structuralisme « extra-linguistique » (anthropologie, littérature, sémiologie sémiotique, …) à l’histoire du structuralisme « proprement » linguistique\John E. Joseph, Jacqueline Léon, Béatrice Godart-Wendling, Christian Puech, Serge RomaškoJacqueline Léon
Historiographie du structuralisme généralisé. Etude comparative
16 h. – Clôture du colloque
RÉSUMES DES INTERVENTIONS
Jörn Albrecht (Université de Heidelberg) La pénétration des idées structuralistes dans les pays germanophones
Gabriel Bergounioux (Université d’Orléans) Du Mémoire au Cours : une filiation phonologique du structuralisme ?
Jean-Claude Chevalier (Université Paris VIII) Linguistique et philologie françaises devant l’analyse des structures. 1880-1956
1 ° Le développement de la Société de Linguistique de Paris à partir de 1863 et surtout à partir de 1880, date de l’arrivée de Saussure à Paris, Saussure qui prend aussitôt une part active dans l’orientation de la Société.
2° La séparation dans les années 1860-70 de la Philologie et de la Linguistique, référée au livre de Hovelacque, La Linguistique. Cette séparation sera accentuée à partir des années 80 et surtout 90 par la répartition des tâches entre deux “patrons “de très forte personnalité: Meillet pour la Linguistique, Brunot pour la philologie.
L’évolution des idées linguistiques, l’implantation de nouvelles institutions à partir des années 1920 permettent de préciser les conditions de l’explosion linguistique en France après 1945.
John E. Joseph (Université d’Edinburgh) Pour une réévaluation des frontières nationales dans la linguistique des années 1930-60
Pourtant, dans l’après-guerre un plus grand séparatisme commença à se développer, et après s’être accru dans les années 50, il atteint son sommet dans les années 60. Ce séparatisme, bien qu’il n’ait jamais été complet, produisit une situation telle que seule une minorité de linguistes portait attention aux traditions autres que la leur propre. En même temps, le mythe d’un « séparatisme originaire » est projeté rétrospectivement sur le passé, et on voit se cristalliser des périodisations et des traditions nationales – comme le « structuralisme américain » – longtemps après leur disparition. Dans mon intervention j’examine l’évidence et la nature largement mythique de certaines de ces constructions rétrospectives, la difficulté qu’on rencontre à les remettre en cause une fois qu’elles ont pris racine, et les principes qu’on doit se donner- pour- établir des catégorisations plus solides.
Franco Lo Piparo (Université de Palerme) Le premier manifeste du structuralisme linguistique: le chapitre 20 de la Poétique d’Aristote
Au cours de l’exposé, à travers une lecture analytique du chapitre 20, on verra qu’Aristote y décrit la langue (léxis) comme une machine qui, en articulant des structures à la fois autonomes et interdépendantes, produit un nombre infini de significations.
Christian Puech (Université Paris III Sorbonne Nouvelle) Est-il temps de faire l’histoire des structuralismes ?
– a) le paradigme structural a quitté le devant de la scène depuis longtemps déjà sans qu’on puisse dire s’il a été supplanté et/ou assimilé,
– b) que les travaux d’histoire des structuralismes référés à des aires géographiques différentes (Europe, Amériques, Europe de l’est…) connaissent une relative renaissance,
– c) que l’image de sa source commune (F. de Saussure) s’est largement modifiée depuis une trentaine d’années (édition Engler, 1974).
On « plaidera » pour
– une relativisation de la situation française par comparaison avec d’autres contextes culturels,
– une évaluation « au plus juste » de l’apport saussurien et des différentes formes qu’il a pu.prendre,
– une contextualisation plus « serrée » du CLG dans les problématiques linguistiques de la fin du XIX° siècle,
– une prise en compte distanciée, enfin, des différentes extrapolations extra-linguistiques auxquelles le paradigme de la linguistique structurale a pu donner lieu.
On portera particulièrement attention à la complexité de la situation française dans l’après-seconde guerre mondiale et à la polarisation du structuralisme français sur le signe et la sémiologie.
Patrick Sériot (Université de Lausanne) Le refus de Saussure en URSS: un problème de théorie de la connaissance
On reprendra les étapes de ce mouvement de balancier, en insistant sur les thèmes-clés
– du côté du rejet : l’accusation d’anti-historisme, la passivité de la masse parlante, l’arbitraire du signe, le caractère aléatoire du changement linguistique, l’anti-téléologisme, l’insistance sur la nécessité de “dépasser les antinomies” (partagée par les Russes du Cercle de Prague);
– du côté de la fascination : la notion de “système”, mais qui dérive souvent dans celle de totalité organique, sans manque.
Mais un point reste constant jusqu’à aujourd’hui :jamais n’est relevé la notion épistémologique de “point de vue”. C’est là le point aveugle, fondamental de la réception de Saussure dans la linguistique soviétique, aux conséquences incalculables.
Stijn Verleyen (Université de Leuven) La phonologie diachronique de Martinet et ses sources pragoises
La théorie du changement phonologique développée par Martinet, qui prend forme autour du concept d’économie (cf. Verleyen 2004), doit beaucoup à la conception pragoise du changement phonologique et linguistique en général (cf. Jakobson 1928, 1929, 1931), même si Martinet a pris ses distances vis-à-vis de l’enseignement pragois sur plusieurs points importants, notamment en ce qui concerne la causalité finale et la tendance à l’harmonie des systèmes phonologiques.
Nous regarderons de plus près quelques notions-clés dans l’œuvre de Martinet (fonction, structure, économie, etc.) et nous confronterons ses vues aux textes pragois, ainsi qu’à ceux de ses continuateurs (e.g. Haudricourt – Juilland 1949, Hagège – Haudricourt 1978).HAGÈGE, C. – H.AUDRICOURT, A. 1978. La phonologie panchronique. Paris: PUF.HAUDRICOURT, A. – JUILLAND, A. 1949. Essai pour une histoire structurale du phonétisme français. Paris : KlincksieckJAKOBSON, R. 1928. “The Concept of the Sound Law and the Teleological Criterion ”. [Selected Writings, vol. 1, 1-2. The Hague: Mouton, 1962]JAKOBSON, R. 1929. “Remarques sur l’évolution phonologique du russe comparée à celle des autres langues slaves ” Travaux du Cercle linguistique de Prague 2. 5-118.JAKOBSON, R. 1931. “Prinzipien der historischen Phonologie”. Travaux du Cercle linguistique de Prague 4. 247-267.KOERNER, E.FK. 2002. “William Labov and the Origins of Sociolinguistics in America”. in: KOERNER, E.F.K., Toward a History of American Linguistics, 253-284. London: Routledge.MARTINET, A. 1946. “Au sujet des fondements de la théorie linguistique de Louis Hjelmslev ”. BSLP 42. 19-42.
MARTINET, A. 1955. Économie des changements Phonétiques – traité de phonologie diachronique. Berne: Francke.
VERLEYEN, S. 2004. “Le concelit d’économie dans la théorie linguistique d’André Martinet (1908-1999)”. In: HASSLER, G. – VOLKMANN, G. (éds), The History of Linguistics in Texts and Concepts, vol. 1, 365-377. Munster: Nodus.